Les prénoms ensablés
Une vague sueur de marin
Comme un souvenir inventé
Qui se déverse en chagrin
Comme un adieu d’éternité
C’est un peu comme si ma bagnole
Se maquillait en petit navire
Comme si les murs de mon école
Devenaient des lignes de menhirs
Tous les jours on s’taille
On prend large on met les voiles
Qu’on parte Porte de Versailles
Ou Port de Brest on suit l’étoile
Vers quelque fabuleux destin
Comme une luciole hypnotisée
Par son propre arrière-train
Et l’envie d’être consumé
Impatients de tous les jours
Avancez les yeux rabaissés
Vers la lumière d’un abat-jour
Et laissez-la vous caresser
Avec le sel j’ai délaissé
Pour un Eden sur l’océan
Ceux qui m’ont vu sans sourciller
Tout éclatant foutre le camp
Regardant les vagues effacer
Un par un les grains minutieux
Une plage de prénoms ensablés
Qui mourront quand je serai vieux
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Elle va
Derrière la fenêtre elle se penche
Pieds nus dans les rues toutes blanches
Elle va
Sous les étoiles qui s’allument
Les flocons de neige et la lune
Elle va
En fermant les yeux
Elle va
Aujourd’hui quand la nuit s’avance
Et brutale arrache à l’enfance
Elle va
Dans les livres dans lesquels elle puise
Les doux rêves qui parfois suffisent
Elle va
En ouvrant les yeux
Elle va
Elle est là, bien là je la vois
Près de moi pourtant, pourquoi mais comment
Car moi qui suis là, je ne la sens pas
Où est-elle ?
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Morve Rose
Cachés dans le grenier avant la guerre
Quelques jouets vêtus de poussière
Abandonnés si profondément
S’emmerdent grave évidemment
Comme les enfants
Qui devenus grands-pères
Dorment aujourd’hui six pieds sous terre
Où périssent les souvenirs
Où fuient les illusions
A trop vouloir grandir
S’étiolent les petits garçons
Des générations d’anniversaires
Grandissent le trésor tous les hivers
Quand les bambins poussent, deviennent parents
Ils oublient toujours facilement
Le temps d’avant
Quand assis par terre
Ils fabriquaient leurs univers
Et maintenant, lentement
J’enterre mes dix ans
Viens sèche ta morve et cache la misère
Ta nostalgie rose à quoi ça sert ?
Lève la tête, fais semblant d’être content
Écrase ton malheur écœurant
Ça devient chiant
Quand tu te donnes l’air
D’un chat noir derrière un cimetière
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Avec sa fourche
Encore une bien belle journée glandouille
Tranquille mémère à la maison
Lessive, ménage, le feu sous les nouilles
Au milieu la marmaille à foison
Tous les jours de la semaine elle s’agenouille
Au pied des couches et des biberons
Du mari qui se gratte les orteils
Beuglant quand ça ne tourne pas rond
Et le soir à chaque fois qu’elle se couche
Elle dessine un cœur avec sa bouche
Mais lui dedans sa manche il se mouche
Et brutalement l’empale avec sa fourche
Amoureuse elle espère, elle admire
Ce terrible, insensible bonhomme
Corps d’apollon sous deux yeux de saphir
Et vingt-huit phalanges écraseuses de pommes
A quinze ans elle perdit son avenir
En rencontrant ce charmant jeune homme
Qui d’un regard la fit s’évanouir
Un peu comme aujourd’hui quand il cogne
Tous les jours elle appelle sa copine
Qui l’écoute sans doute un peu distraite
Dieu qu’elle est gentille Marie-Christine
Même quand elle fait semblant d’être honnête
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Seuls
Seuls dans leurs corps
Ils s’éternisent
Seuls sans promise
Ils vivent encore
Et dans leur ville
Y’a plein d’alter-egos
y’a plein de miroirs
Mais si fragiles
Un par un s’emmitouflent
Tapis dans le noir
Seuls dans leurs doigts
Gris qui pianotent
Seuls sans émois
Puis ils grelottent
Bien englués, chacun dans sa coquille
Les garçons font des poèmes
Que blotties lisent les filles
Leurs enfants seront les mêmes
Minuscules comme leurs billes
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Un morceau de musique
Une vieille chanson du siècle dernier
Juste avant la diabolique invention
Des synthétiseurs au goût plastifié
Gifle mon crâne pour vomir d’émotion
Le craquement d’un vinyle et me voilà
Pédalant sur un tricycle bicolore
Sur les gravillons d’une allée devant chez moi
J’en frémis les odeurs comme si j’y étais encore
Mais ce n’est qu’un disque
Une galette en plastique
Pas une machine fantastique
Juste un morceau de musique
Le titre a dû déjà m’échapper
Perdu comme les journées poussiéreuses
Et les partenaires de jeu enterrés
Au profit d’un compagnie
Beaucoup plus précieuse
Et je m’y revois comme si tu étais là
Mais de cette nostalgie, plus rien de bon
De ce miel, plus rien ne sera
Alors fermons les yeux, rangeons les disques et vivons
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Tout pour plaire
Quel magnifique empire
De miel, perle et de soie
De plaisir de saphir
Qui s’agglutine en moi
Quelle lumière fait rosir
Le palpitant des rois
Va-t-elle m’évanouir
En m’effleurant du doigt
A présent que je vois qu’elle a tout pour plaire
Silencieusement devrais-je apprendre à me taire ?
Quel enchantement d’ouïr
Le filet de sa voix
Les syllabes et les rires
En scintillant de joie
Quel bonheur d’applaudir
Les jours, les nuits, les mois
Qui fanent en souvenir
En s’accrochant parfois
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Sur ma pirogue
Tiens-toi bien, donne-moi la main
Appuie-toi sur mon avant-bras
Ne crains rien
Détends-toi, je suis là
J’ai pas bien le pied marin
De toute façon là où on va
ça ne fait rien
C’est un océan plat
Sur ma pirogue
Les gambettes en éventail
Le vent sucré dans la nuque
Sur ma pirogue
Tu redresses le gouvernail
Qui soulève un peu ta jupe
Assieds-toi contre mes reins
Moi je rame et toi tu conduis
Sers-moi bien
Ou je m’évanouis
Laisse-moi caresser les syn-
Pathiques poissons qui envient
L’air de rien
Nos deux anatomies
Nous n’aurons plus jamais faim
Nous lècheront nos chairs tous les jours
Car enfin
C’est un aller sans retour
Je navigue avec les mains
Explorateur de tes contours
Tout va bien
Je suis devenu sourd
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Insomnie
je délire dans mon sommeil
J’imagine un polichinelle
Abandonné dans une poubelle
Qui ouvre les bras, m’appelle “papa”
Je gesticule sous la couette
Trace des cercles dans ma tête
Dessine des moutons-girouettes
Qui ne s’endorment pas, me rendent gaga
Oh je ne dors pas
Ca me fatigue
J’ai lu quatre-vingt-six pages
D’un livre qui ne contient pas d’image
Et qui m’inocula la rage
Mais ça ne marche pas, dodo ne vient pas
J’ai dégluti dix-huit pilules
Qui m’ont fait comme des petites bulles
Dans la tête et c’était ridicule
Car là je crois, ne me réveillerai pas
Ca y est je suis dans les cieux
J’ai deux grandes ailes, une petite queue
Je suis un angelot merveilleux
Je n’y crois pas, je n’en reviens pas
Mais j’arrive devant l’éternel
Qui d’un geste solennel
Me revoie dans une poubelle
Où j’ouvre les bras, appelle papa